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Agence Babylone

Henri de Dreuzy, Associé fondateur, Agence Babylone

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L’agence Babylone regroupe une dizaine de professionnels autour des compétences du paysage, de l’urbanisme et de l’environnement. Elle s’attache à créer de nouvelles synergies entre ville et nature. L’agence Babylone a ainsi développé à partir du concept fondateur de « Nature Active » sa propre charte environnementale d’aménagement.

L’un des enjeux à plus long terme est à mon sens de valoriser cette période particulière, propice aux changements, pour valoriser et pérenniser certaines tendances positives, comme l’essor de l’utilisation du vélo ou la présence de la nature en ville

Constat sur la crise actuelle :

La notion de temporalité est primordiale, afin de percevoir les différentes étapes qui nous ont touchées et vont continuer de nous impacter durant cette période de crise, autant sanitaire qu’économique. En effet, il se dégage trois étapes principales :

  • L’étape du confinement, durant laquelle de nombreux commerces sont fermés, et au sein de laquelle les habitudes des habitants se modifient, et s’adaptent à la situation
  • L’étape de la vie déconfinée qui restera toutefois toujours rythmée, durant plusieurs mois voire années, par les mesures drastiques prises pour éviter toute propagation du virus
  • La dernière étape, de vie déconfinée, sans covid, qui sera marquée par les opportunités saisies ou non, durant les périodes précédentes

Il faut garder à l’esprit que certaines difficultés aujourd’hui vont peut être constituer des opportunités pour améliorer notre vie demain et s’attacher pour saisir ces opportunités à long terme malgré les urgences du moment.

Les grands enjeux de cette crise concernent notamment 2 domaines majeurs du centre-ville : les commerces et les déplacements.

  • Les autorités vont devoir penser des mesures rapides et évolutives pour répondre à l’urgence sanitaire dans le temps qui nous est imparti. Ces solutions seront certainement partielles et en grande partie insatisfaisantes sur le long terme, mais il reste important de les mettre en place et de les modifier et de les améliorer au gré du temps et des conditions sanitaires. C’est une situation par ailleurs intéressante puisqu’elle va nous permettre de tester et d’accélérer la mise en œuvre de certaines solutions.

Les initiatives post-confinement pensées :

  • Cette période de transition va premièrement être beaucoup portée par l’initiative citoyenne. Il faudra écouter les citoyens (habitants, commerçants, usagers) qui, naturellement, pour améliorer leur quotidien, vont mettre en place diverses solutions pour répondre aux problèmes posés. C’est là que les autorités ne doivent pas constituer un frein à ces initiatives, mais apporter un œil professionnel, extérieur, capable d’améliorer ces solutions, les rendre viables et efficaces sur un plus long terme tout en garantissant l’intérêt général et l’application de la loi. On parle « d’urbanisme tactique, ou d’urbanisme citoyen ».

Exemples : les expériences de « Parking Day » à San Francisco d’abord puis partout dans le monde, ou de « Living Street » à Gand en Belgique : les rues sont fermées à la circulation pendant un temps défini, les places de parking libérées et les habitants peuvent se réapproprier les espaces : installation de mobilier éphémère, jeux, interventions artistiques…

  • La tentation d’utiliser la voiture, moyen de transport individuel sécurisé au niveau sanitaire, sera très forte durant les semaines, voire mois qui vont succéder le déconfinement. En effet, les citoyens auront peur de reprendre les transports en commun, peur légitime de transmettre ou d’attraper le virus. Néanmoins, ce réflexe naturel va poser deux problèmes majeurs, qu’il faut pouvoir prendre en compte dans les mesures de déconfinement :
  1. L’engorgement des voies routières par un trop plein de voitures individuelles, notamment dans les grandes villes
  2. Un retour en arrière dans la lutte contre le réchauffement climatique, lutte restant tout de même primordiale, malgré l’urgence sanitaire. L’utilisation du vélo et son essor ces dernières années est caractéristique de ce risque

Il serait donc pertinent de renforcer les possibilités de déplacements cyclables tout en garantissant le respect des normes sanitaires et de sécurité.

Concrètement il faudrait libérer de la place pour les pistes cyclables, à la fois pour en créer de nouvelles et pour élargir les pistes actuelles, trop étroite par rapport aux flux à venir. Cela implique nécessairement de réduire la place de la voiture en créant par exemple des rues interdites aux véhicules particuliers au profit des vélos ou en supprimant des stationnements.

En 2019, lors des grèves à Paris, 54% d’utilisateurs supplémentaires à prendre le vélo ont été recensés. Il faut que ce phénomène continue à s’amplifier. Gardons à l’esprit qu’à gabarit équivalent une voie vélos fait circuler 4 à 5 fois plus de personnes qu’une voie réservée aux voitures.

La situation actuelle nous offre l’opportunité d’accélérer fortement la mise en place des « Plans Vélos » que de nombreuses villes peinent à déployer.

On comprend bien qu’un des enjeux principaux est de pouvoir « dilater » l’espace urbain pour pouvoir respecter les consignes de sécurité, avec la distanciation physique.

  • En ce qui concerne les commerces, il semble primordial d’accorder beaucoup plus d’espaces aux commerçants dans l’espace public. Ainsi, ils pourront maintenir leur activité dans le respect des normes les plus strictes. Plusieurs pistes sont à envisager :
  1. Utiliser un espace régulièrement inoccupé à des heures ou jours précis (places de stationnement de livraisons le dimanche ou certaines heures de la journée / matérialiser un espace de vente extérieur devant les commerces avec des potelets mobiles / organiser des files d’attente extérieures avec des potelets amovibles à ruban rétractable…)
  2. Rendre le centre-ville piéton les jours de marché :
    Permettre aux commerçants de déborder sur certains espaces publics et à ceux du marché de s’installer de façon diffuse dans le centre-ville notamment sur les terrasses des cafés quand elles sont fermées, devant les commerces vacants, et peut être rendre piéton le cœur de ville ces jours là
  • Par ailleurs, l’un des enjeux à plus long terme est à mon sens de valoriser cette période particulière, propice aux changements, pour valoriser et pérenniser certaines tendances positives que l’on a pu voir émerger chez nos citadins :
  1. Beaucoup de citadins ont découvert le plaisir de bien respirer en ville et d’entendre les oiseaux, d’autres ont découvert de nouvelles formes de solidarité et d’entraide, ou encore d’aliments de grande qualité produits à proximité de chez eux…

On peut en ressortir 2 grandes tendances de fond : la nature et la sociabilité, deux notions qui influencent beaucoup l’aménagement de l’espace public.

En ce sens il parait intéressant de favoriser dès que possible la création en centre-ville de zones mixtes, les « zones de partage » ou « zones de rencontre » : ces espaces permettent la libre circulation des différents usagers ensemble (automobilistes, vélos, piétons…) de façon apaisée et sécurisée, grâce à une limitation de vitesse (20km/h) et à la suppression des trottoirs. Dans des zones à faible circulation automobile, ce dispositif permet à gabarit équivalent de donner plus d’espace aux piétons et aux vélos mais également à la nature, aux commerces, aux usages…

Cela permettrait par exemple d’obtenir des « rues jardin », végétalisées jusqu’à 70% de leur surface tout en permettant des déplacements efficaces, sécurisés et aérés.

En somme :

Force est de constater que cette crise sanitaire va bouleverser le quotidien des Français pendant encore de nombreux mois, voire de nombreuses années. Il est donc nécessaire de se servir de cette opportunité pour changer les habitudes dans la bonne direction. Il faut renouer, tant que cela est possible, le pratique et le social et privilégier un nouveau contact d’une part avec la nature et d’autre part avec les « autres ». Cette période de changement radical pourrait ainsi permettre aux collectivités d’améliorer la sécurité et l’efficacité des espaces publics, et aux citoyens de s’impliquer plus dans la vie et l’aménagement de leurs quartiers.
 

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